Chers adhérents et amis, vous pouvez télécharger les lettres relatives à la question de géographie tronc commun, adressées à Monsieur le Directeur Éric Bordas – ENS Lyon – par les Présidents de l’AP-Géo et de l’APPLS.

Il suffit de cliquer dessus pour récupérer les documents en pdf.

Planète finance

 

Chers collègues,

Au nom de l’AP-Géo qui, regroupe la très grande majorité des professeurs de géographie en khâgne, je me permets de vous contacter à propos des projets de programmes mis en ligne sur le site de l’ENS Lyon hier, lundi 12 mai.

Nous sommes fortement attachés aux bonnes relations entre notre association et le jury, gage d’efficacité. Il ne s’agit donc pas ici de contester la légitimité du jury à choisir en conscience une question scientifiquement fondée pour le programme de l’ENS. Nous pensons comme vous que notre discipline doit se placer dans les meilleures conditions pour continuer à être reconnue aussi bien par les autres disciplines littéraires que par la géographie universitaire.

La question proposée pour la géographie de tronc commun, « la planète financière », a provoqué une émotion chez de très nombreux collègues, au point qu’un certain nombre en demandent le retrait. La question ainsi formulée et le texte de présentation du programme posent en effet plusieurs difficultés majeures.

Nous observons tout d’abord que les publications sont peu nombreuses sur cette question. Les indications bibliographiques données dans cette lettre, y compris le renvoi sur le site de France culture, le confirment. Si l’on excepte les publications de compilation de données économiques spatialisées, la production universitaire française est très limitée dans ce domaine. Une rapide recherche sur les revues en ligne répertoriées dans le champ de la géographie le montre nettement : quelques dizaines d’occurrences pour « financ* » dont la plupart portent sur des enjeux de financement très spécifiques et/ou très localisés.

Le texte d’accompagnement nous inquiète sur l’orientation à donner à notre champ disciplinaire pour l’année prochaine. Nous craignons que la place accordée à des points comme « la connaissance de l’architecture générale de la finance », « les entreprises bancaires et financières », « les reconfigurations des systèmes financiers sous l’influence des activités économiques et de leur financement », « les mécanismes des crises financières », « la gouvernance du système financier international », « les modèles et les normes en matière de finance planétaire », « Organisations internationales (Banque mondiale, FMI, G20…), Etats, banques (privées ou d’Etat), marchés financiers, investisseurs, entreprises plus ou moins internationalisées, traders, épargnants » etc. conduisent à nous éloigner des enjeux spatiaux et territoriaux qui sont l’objet de notre discipline. Nous demandons des éclaircissements sur ce point même si nous supposons que les connaissances des mécanismes financiers puissent être réduites au strict minimum indispensable à la compréhension des processus spatiaux.

Le texte d’accompagnement ne définit pas le terme de finance et n’en marque pas les limites. Il mentionne les bourses, la fiscalité, les investissements, les questions monétaires, bancaires, le financement des systèmes productifs, les unions commerciales régionales (type Mercosur), les marchés de la totalité des secteurs économiques ainsi que celui du travail. La liste « l’agriculture, l’extraction des ressources naturelles, l’industrie, la production d’énergie et les services marchands, de l’échelle mondiale à celle de l’entreprise ou de l’exploitation, en passant par celle des économies

régionales » ne limite en rien ce que nous devons étudier et nous fait craindre un devoir d’exhaustivité d’intérêt modeste. Qu’en est-il par exemple des marchés agricoles ? Sont-ils inclus en totalité dans le programme, ou seulement dans leur dimension spéculative ?

A l’inverse, une série de flux financiers mondialisés ne sont pas mentionnés comme l’aide publique au développement, les remises des migrants … De plus, la formule classique « la planète » peut être entendue comme exclusivement ce qui est d’échelle planétaire ou comme les questions financières dans un monde mondialisé, y compris des questions financières d’échelle bien plus grande, comme cela peut être le cas à l’échelle d’un pays (enjeux de financement des entreprises, redistribution d’une rente économique, systèmes d’épargne…).

Il nous semble donc nécessaire d’établir avec précision le contenu et les limites à donner au terme « financière » dans l’intitulé de la question afin qu’aucun préparateur ne se méprenne sur l’orientation à donner à son travail.

Le texte accompagnant la question place la finance mondialisée comme élément déterminant dans l’organisation des espaces productifs et de certaines formes urbaines. Il évoque les positionnements différenciés des territoires face à ces processus (résiliences, « alter »…), mais sans nettement retenir d’autres processus spatialisés d’échelle plus grande. Si le rôle de la finance mondialisée est central, le risque d’une vision de causalité univoque n’est pas écarté. La prise en compte de la complexité des processus spatiaux qui s’articulent à ceux de la planète financière, implique de s’intéresser à des acteurs et à des mécanismes à des niveaux d’échelles plus fins et fortement différenciés dans l’espace, comme c’est le cas pour plusieurs exemples cités qui ne sauraient se comprendre uniquement par les processus de la finance mondialisée.

Retenir cette complexité aboutirait à un exercice très ambitieux dans le cadre horaire imparti, l’écarter pourrait mener à une approche réductrice peu recevable pour le géographe. Il nous semble là aussi que des précisions nous seraient très utiles, peut-être dans une lettre de cadrage un peu plus… cadrante et précisant une définition et les limites de la finance.

Enfin, le souci des préparateurs étant l’épreuve finale, nous souhaiterions nous assurer que le sujet du concours sera, comme c’est le cas de très longue date, un sujet à dimension spatiale, au sens où il s’agirait de dépasser la localisation de phénomènes économiques pour aborder la production ou les mutations des espaces, la territorialisation…

Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à notre demande et formulons le voeu que ce dialogue entre le jury et les préparateurs continue à être fructueux dans l’intérêt des candidats et de notre discipline.

Pierre Stragiotti

Président de l’AP-Géo

 

Lettre2 Bordas

 

Monsieur le Directeur, cher collègue,

Nous nous permettons d’apporter quelques compléments à notre courriel du 13 mai, après avoir pris le temps de quelques recherches et vérifications.

Le programme proposé soulève une question intellectuellement très intéressante. Mais, après des recherches bibliographiques, de fortes difficultés apparaissent.

La formulation « La planète financière » nous pose un problème quant au champ scientifique, qui est longuement exposé dans notre précédent courriel. Notre souci est que la question au programme de l’ENS s’inscrive dans le domaine des recherches universitaires, il en va de la reconnaissance de notre formation et des poursuites d’études pour nos élèves. Nous observons que les thématiques liées à « la planète financière » sont très peu présentes dans les publications, les colloques, les thèses soutenues depuis 2008 (date charnière pour cette question). Nous craignons que cette question ne place le concours sur un terrain dans lequel la très grande majorité des universitaires ne se reconnaîtra pas. Cette situation a une conséquence directe et pratique pour les préparateurs : la bibliographie est très restreinte. Nous avons effectué plusieurs recherches dans ce domaine pour les livres universitaires, les thèses en ligne et les revues en ligne (Cairn et revues.org), et nous confirmons que les publications sont très rares et souvent centrées sur des études très spécifiques. L’ébauche de bibliographie qui termine la lettre de cadrage contient pour l’essentiel des articles et un livre de David Harvey de 2010 épuisé. Quant à l’ouvrage de Jean Labasse, il est certes fondateur, mais de 1974 ! Le risque est que le contenu de la préparation fasse la part belle à des manuels de classes préparatoires économiques ou à la presse spécialisée. Les sites renvoient d’ailleurs le plus souvent à des références strictement économiques (y compris au département… Economie de l’ENS-Lyon). La crédibilité de notre concours en souffrirait.

Soit on adopte une définition restreinte de la finance, auquel cas l’année sera longue, soit on adopte la définition élargie proposée par la lettre de cadrage et cela devient considérable. Evoquer la question de la finance en géographie peut être très stimulant, mais, si on en reste à la finance stricte, on risque de faire de la géographie en creux puisque la finance a justement tendance à s’abstraire de l’espace. C’est une étude passionnante, mais pas forcément adaptée à un public qui aura fait 2 h de géographie en hypokhâgne et qui en fera 2 h en khâgne. Il ne s’agit pas pour nous de demander une question qui serait traitée par un manuel de premier cycle, nous avons déjà fait face à des programmes sans référence de synthèse et

avec une bibliographie très dispersée (« Santé et environnement » en 2009, « Turquie, turcs et turcophones » en 2010, « Iles et insularité dans le monde » et « Les mondes du froid » pour la spécialité de l’ENS Ulm de 2012 et de cette année), mais au moins y avait-il des publications universitaires sur lesquelles s’appuyer. C’est indispensable pour permettre à nos étudiants d’effectuer un travail de première main. Nous n’avons pas le goût de la polémique et c’est l’Ecole qui décide des programmes. Mais comprenez que les préparateurs sont sincèrement très embarrassés par la formulation de ce projet de programme. Nous souhaitions vous faire part de cette difficulté réelle qu’une reformulation du programme permettrait sans doute de contourner. Bien cordialement,

Pierre Stragiotti

Président de l’AP-Géo

 

Ci-desous courrier de Monsieur Marc Even, Président de l’APPLS. (cliquer pour récupérer la lettre) ou aller sur le lien de l’APPLS.

Lettre à E. Bordas APPLS

http://www.netvibes.com/appls#INFOS_GEOGRAPHIE